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09/08/2014

A l'ombre de la cathédrale

C'est dans un état de lassitude que Marcella et Tiberio avaient quitté Rome pour quelques jours de repos à Sienne. Des vacances bien méritées car depuis plusieurs mois ils n'avaient cessé de courir l'un et l'autre pour aider Berghetti. Et les affaires étaient loin d'être terminées.

Mais dans leur pension à l'ombre de la cathédrale, ils avaient tout de suite fait le vide. Le Duomo, majestueux, à l'architecture mêlant le roman et le gothique, semblait les protéger. C'est le premier monument qu'ils avaient visité dans la ville. La cathédrale était réputée pour son Pavimento, un carrelage dans le cœur racontant l'histoire du peuple juif. Il avait été commencé au Trecento. Cette beauté, visible de fin août à fin octobre, n'était pas la seule richesse de la ville. Le baptistère situé en contrebas de la cathédrale, qui retraçait la vie de Saint Jean-Baptiste, était une autre merveille. Un cercle de cordons délimitait d'ailleurs la zone accessible tout autour afin que les visiteurs n'aillent pas tripatouiller les sculptures et les détériorer. Le baptistère avait été construit au XIVè siècle dans la continuité du Duomo. L'endroit était couvert de magnifiques polychromes où se mêlaient la Passion du Christ et sa douleur sur la croix ainsi qu'une kyrielle d'anges qui volait ici et là. Mais ce n'était pas encore le plus bel endroit.

C'est dans la bibliothèque Piccolomini que Tiberio et Marcella avaient été réellement émerveillés. Les murs offraient au regard des fresques du Pinturicchio exceptionnellement bien conservées.  Les fresques n'étaient pas éclairées par des lucarnes mais par de grands vitraux qui coulaient jusqu'au sol. Tous les visiteurs restaient bouche bée. La splendeur du lieu les laissait sans voix. Tout comme les théologiens scholastiques venus faire des recherches à Sienne que Tiberio et Marcella avaient croisés. Les étudiants se déplaçaient beaucoup à travers l'Italie et l'Europe pour trouver matière à insérer dans leur mémoire de fin d'études et passaient tous par Sienne.

En sortant du Duomo Marcella et Tiberio s'étaient installés à une terrasse de la Piazza del Campo où ils avaient commandé un Crodino. Le serveur leur avait apporté le soda dans des grands verres décorés d'une fine tranche de citron. Mais le réconfort que leur avait procuré la boisson avait été de courte durée. En quelques secondes à peine le ciel était devenu tout noir et ils durent courir pour se réfugier à l'intérieur du bar. La pluie battante résonnait sur toutes les façades. Le pavé rouge de la place, surnommée le coquillage pour sa ressemblance avec la Saint-Jacques, luisait sous l'eau ruisselante et les éclairs de l'orage. Marcella avait cherché quand elle avait assisté à un tel déluge à Rome mais en vain. Elle ne s'en rappelait pas. Un oubli qui l'avait contrariée car elle avait d'habitude une bonne mémoire. Les sollicitations de Berghetti ces derniers mois, qui lui avaient pompé la moelle comme un vampire aurait sucé jusqu'à sa dernière goutte de sang, l'avaient affaiblie. Elle avait maigri et elle n'était pas allée chez le coiffeur depuis des semaines. Ses cheveux étaient de toutes les longueurs. Sa coupe avait besoin d'être rafraîchie.

Après l'orage Tiberio et Marcella étaient allés à la Torre del Mangia. L'édifice, construit dans la première moitié du XIVè siècle, mesurait 102 mètres de haut. Ils avaient pris le chemin de la tour comme beaucoup d'autres touristes. Des touristes qui étaient légion à cette époque de l'année. Malgré l'heure tardive beaucoup d'entre eux s'y étaient arrêtés. On disait que sous les quatre angles de la tour des pierres portant des inscriptions latines et hébraïques avaient été déposées. Ceci conduisait la majorité des visiteurs à poser les mains sur les quatre angles de la tour. L'immortalité des légendes favorisait les pratiques les plus curieuses mais pas seulement sur ce site.

Au Museo Civico, qu'ils avaient visité quelques jours plus tard, les Italiens se signaient devant la Vierge à l'enfant de Simone Martini dans la Sala del Mappamondo. C'était la plus grande salle du musée, située au premier étage du Palazzo Pubblico, et de loin la plus belle. Marcella était restée en admiration devant les fresques pendant au moins une demi-heure. A l'entrée du musée, délimitée par une grosse corde ressemblant à une liane, elle avait récupéré une brochure pour comprendre toutes les subtilités du lieu et avait suivi consciencieusement la visite.

Tiberio et Marcella s'étaient beaucoup promené à pied dans la ville. Ils avaient arpenté les ruelles et avaient musardé dans les quartiers les plus éloignés de la pension où ils avaient réservé. Main dans la main ils s'étaient imprégnés de l'ambiance de Sienne.

Même s'ils vivaient dans le péché, aux yeux des passants ils avaient l'air d'un couple marié depuis des années. De leurs deux identités ils avaient réussi à n'en faire qu'une. Les épreuves des dernières semaines n'y étaient sans doute pas pour rien.

Ce texte a été rédigé pour l'édition n°33 des Plumes d'Asphodèle. Il n'est pas libre de droit, la photo non plus.

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