18/05/2013
Un homme sans relief
-"Mesdames, messieurs, je vous ai convoqués ce matin pour vous faire part d'une modification de vos emplois du temps pour les deux semaines à venir. Suite à l'arrêt maladie de Tobias Loseiner, professeur de physique et de chimie, je suis contrainte de redistribuer ses cours et notamment de répartir les classes auxquelles il enseignait ces matières."
La principale du collège connaissait tous les dangers d'une telle annonce: les visages des professeurs qui se crispent en constatant qu'ils devront faire plus d'heures que celles initialement prévues, et une certaine tension dans leur regard. Emelinda Wollenfeld savait par ailleurs qu'elle ne devait faire preuve d'aucune faiblesse, qu'aucun doute ne devait s'installer dans son âme sur le bien fondé de cette décision. Mais les regards des professeurs n'étaient pas faciles à soutenir. Emlinda Wollenfeld sentait sa veste rouge coquelicot peser de plus en plus lourd sur ses épaules. Elle craignait que quelques uns protestent ou posent des questions sur la maladie de Tobias Loseiner. Elle ne se voyait pas leur dire qu'il avait tenté de mettre fin à ses jours en avalant tout ce que son armoire à pharmacie comptait de cachets et de pilules. Les secours avaient été prévenus par une voisine qui était venue lui demander un peu de sucre. Elle avait trouvé étrange qu'il ne réponde pas malgré le rai de lumière qui filtrait sous la porte.
C'était toujours sous la forme d'une image grise, sans ombre qu'apparaissait Tobias Loseiner à Emelinda Wollenfeld. Sa mémoire n'avait jamais réussi à capturer une image de lui en couleur. Un homme gris, sans relief, avec lequel cependant elle s'entendait bien. Même si, à dire vrai, ils ne se parlaient pas souvent. Tobias Loseiner ne posait pas de problème et accomplissait son travail avec une grande rigueur. Il ne discutait que très rarement les décisions prises par la direction. Elle aurait aimé que tous les professeurs soient aussi peu vindicatifs. Par ailleurs, Tobias Loseiner les dépassait tous d'une tête intellectuellement. Il était professeur de physique et de chimie, mais il avait aussi étudié la métaphysique et la philosophie analytique à l'Université de Genève. Puis, il avait choisi de persévérer dans les sciences avec pour objectif d'entrer au CERN. Un objectif qu'il avait finalement abandonné pour une vie plus simple dans l'enseignement. Trop simple peut-être...
Alors qu'Emelinda Wollenfeld concluait son discours, le son de l'alarme se fit entendre. Elle allait pouvoir quitter la salle des professeurs sans se justifier pour aller voir ce qui se passait dans l'établissement. Une fuite qu'elle ressentait comme une évasion plus que comme une échappatoire mais qui fut pour elle une vraie délivrance.
Ce texte a été rédigé pour l'édition 101 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.
22:30 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : textes originaux, écriture, littérature, genève, solitude, actu, actualité | Facebook |
Commentaires
Qu'il est difficile de renoncer à ses rêves. :-( Ton texte est bien écrit et on ressent très bien les émotions de la directrice. :D J'adore ! :D
Écrit par : ceriat | 20/05/2013
La liste de mots n'était pas facile...
Cette semaine j'ai continué à écrire les aventures de Tiberio et Marcela.
Écrit par : La Plume et la Page | 30/05/2013
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