15/03/2023
All you need is... love!
6 janvier
Je ne quitte plus le pull en cachemire que Victoria m'a offert à Noël. Elle l'avait déposé sous le sapin juste à côté de la crèche avec ses santons rapportés de Provence. Elle avait un regard lumineux de petite fille lorsque j'ai ouvert mon cadeau; elle guettait chacune de mes réactions. On a pris un peu d'avance sur le calendrier pour célébrer Noël car elle avait prévu de rentrer en France pour passer les fêtes en famille. Elle partait en Eurostar le 23 décembre alors le 21 je lui ai concocté un petit dîner romantique dans un restaurant de Knightsbridge. Après le repas nous avons marché au hasard des rues illuminées de guirlandes de toutes les couleurs. Une vraie féerie. Sur le chemin du retour Victoria, qui devait être un peu pompette, a tenu absolument à chanter des chants de Noël mais aussi des standards anglais parmis lesquels All you need is love: "There's nothing you can do that can't be done / Nothing you can sing that can't be sung..."
12 janvier
La neige n'est pas près de fondre. Il en est retombé 20 centimètres cette nuit. Le manteau blanc qui recouvre Londres n'a rien d'éphémère. Habituellement on a tout juste quelques frimas. Cette année la ville semble enveloppée de silence. La neige assourdit les bruits. L'aube a quelque chose de mystérieux.
Je n'ai fait qu'hiberner depuis que Victoria est partie pour le continent. J'erre comme un vieil ours dans l'appartement. Je n'ai pas envie d'écrire et les larmes me viennent aux yeux pour un oui ou un non. Mon âme a été entaillée par une lame invisible. Seule Victoria peut panser cette plaie béante. Je me languis d'elle bien qu'elle me donne régulièrement de ses nouvelles. Son sourire espiègle et ses jolis yeux de fée me manquent. J'espère qu'elle pourra se libérer au printemps pour un petit voyage en Hollande. Nous irons nous perdre dans les champs de tulipes rouges, roses, jaunes...
16 janvier
Victoria est rentrée il y a trois jours et je ne l'ai pratiquement pas vue depuis son retour. Elle m'a raconté qu'elle s'est faite malmener à la gare de Saint Pancras juste avant de prendre le métro pour Bayswater Road. Quelques individus imbibés d'alcool ont essayé de lui arracher ses possessions. Elle a hurlé et s'est débattue comme un tigresse pour les faire fuir. Les agents de sécurité ont réussi à la sortir de ce mauvais pas et ont saisi les gredins qui ont été placés en cellules de dégrisement au Yard. Elle a été bien secouée mais n'a heureusement pas été blessée.
Le relèvement des prix a provoqué une multiplication des vols à la tire. Une situation qui ne devrait pas aller en s'améliorant après les dernières déclarations de Cameron.
24 janvier
Le week-end dernier j'ai emmené Victoria au zoo après la relève de la garde à Buckingham qu'elle tenait absolument à aller voir. Nous avons passé un temps fou à observer les éléphants. Nous guettions le moment où le soigneur viendrait déposer la ration d'aliments dans le réceptable qui leur sert de mangeoire. Pauvres bêtes privées de liberté pour assouvir le voyeurisme des humains. Une forme d'esclavagisme moderne...
Ce texte a été rédigé pour l'édition 49 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il y avait 24 mots imposés. Ce texte n'est pas libre de droits. La photo non plus.
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12/03/2023
Les dimanches poétiques (308)
Paris
[29 décembre 1959]
"Mon bien-aimé,
Je relis ta lettre de ce matin pour la troisième fois, et je m'émerveille toujours un peu plus du plaisir que tu me donnes, au-delà même du bonheur. Tu connais sans doute aussi bien que moi ces délicats frissons du rire que communique soudain, aux moments les plus imprévus, la conscience de l'amour. Certains mots que tu écris m'apportent cette qualité de joie : elle n'a pas de limites; elle commence et ne peut finir; elle aère mystérieusement le coeur et l'esprit et vous laisse à la fois vide et comblée... Ce qui m'amuse, c'est que tu sembles ne découvrir qu'aujourd'hui qu'il s'agit entre nous de PASSION! Moi je le sais depuis longtemps, étant moins méfiante que toi en ce qui concerne ces régions de l'être où l'amour n'est plus que liberté... et, tu vois, je ne te l'envoie pas dire. Non, ne fronce pas ton nez en signe de moquerie, et laisse-moi, cette fois du moins, les petits bénéfices d'une soi-disant expérience! [...] "
Dominique ROLIN in Lettres à Philippe Sollers 1958-1980 (Ed. Gallimard - 2018)
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08/03/2023
La petite musique de Victoria
Le soleil avait fait son retour avec les premiers jours du printemps. Les fleurs commençaient à sortir de terre, Kensington se colorait d'un tendre vert et les Londoniens flânaient dans les rues. Toute la ville souriait à nouveau.
Victoria était ravie de l'arrivée des beaux jours. L'hiver avait été particulièrement froid et avait semblé ne jamais vouloir finir. Depuis mi-mars elle allait chaque samedi à Brompton Oratory à pied. Elle traversait le parc pour rejoindre Exhibition Road en saluant Peter Pan d'un petit geste de la main avant de remonter en longeant le Serpentine. Juste avant d'arriver au lac, elle entendait toujours quelqu'un jouer du violon. Le musicien jouait un morceau léger et mystérieux qui l'envoûtait. Cette petite musique tournait dans sa tête toute la journée et parfois tout le week-end.
Un samedi matin elle décida de ne pas aller jusqu'à Brompton Oratory. Elle voulait trouver ce violoniste qui chaque semaine l'envoûtait. Ce jour-là elle jeta à peine un coup d'oeil à la statue de Peter Pan et se dirigea vers le lac comme à l'accoutumée mais au lieu de continuer vers la colline, elle tourna à droite pour s'installer sur une pelouse. Elle s'assit sur un plaid qu'elle avait emporté ainsi qu'un livre. Au bout d'une trentaine de minutes, la petite musique résonna non loin de son point de chute. Elle remarqua un clochard installé sur un banc. Tout en faisant mine de lire, elle épiait son voisin. Il semblait être familier du lieu; chacune de ses possessions avait visiblement sa place. Il était pieds nus. Victoria en déduisit qu'il profitait du soleil pour réchauffer sa vieille carcasse. Ses cheveux étaient blancs, sa barbe épaisse et plutôt longue, ses mains noueuses et gonflées. Elle avait remarqué qu'il portait des lunettes mais elle était trop loin pour voir la couleur de ses yeux.
Ce qui intriguait le plus Victoria c'était l'incroyable talent du clochard pour faire vibrer les cordes de son violon. Elle pensa qu'il avait très certainement donné des concerts à une époque. Un musicien aussi doué avait dû tourner dans le monde entier et elle se demanda comment s'était produit ce revers de fortune.
Au bout d'une heure la musique cessa et Victoria se plongea sérieusement dans sa lecture. De ce fait elle ne remarqua pas que le clochard l'observait à son tour. Il avait un journal à la main qu'il avait ajusté devant son visage de façon à ce qu'elle le croit en train de lire. Au lieu de cela ses yeux erraient sur les cheveux châtains de la jeune femme, ses joues rosées et la moue de ses lèvres lorsqu'elle était concentrée sur son livre. Il la vit sourire à plusieurs reprises et se demanda quelle était sa lecture. Il aurait aimé aller lui parler mais il avait peur de l'effrayer et de ne pas la revoir car il l'attendait chaque samedi matin. Il guettait sa silhouette et ses cheveux bercés par la cadence de ses pas.
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02/03/2023
Le vagabond de Kensington Gardens
6 janvier
Je fais toujours des plans sur la comète bien que je n'en sache pas beaucoup plus sur la vie de Victoria. Elle ne dit rien d'elle; elle est secrète. Pourtant son métier consiste à communiquer. Des infos sur le monde, certes, mais communiquer tout de même.
Je n'ai pas osé lui déclarer ma flamme lorsque je l'ai invitée à boire un verre avant les fêtes. Ses yeux brillaient comme deux étoiles ce soir-là. J'aurais peut-être dû me lancer avant qu'un Apollon ne vienne me couper l'herbe sous le pied. Les occasions de rencontrer quelqu'un ne manquent pas dans sa profession.
Je vais écrire une charade ce soir avec ma vieille plume sergent-major et je la glisserai dans sa boîte à lettres demain matin en allant acheter le pain. Pourvu qu'elle ne trouve pas cela farfelu et démodé. Il me vient de ces idées parfois!
20 janvier
J'ai croisé un vagabond ce matin dans Kensington Gardens qui m'a proposé des partitions pour violon. Il m'a expliqué qu'il n'avait plus la force de jouer et que ce qui l'importait actuellement c'était de manger à sa faim. Il m'a aussi proposé un vieux jeu de tarot pour 50 livres. Cela m'a paru bien en-deçà de la valeur d'un exemplaire datant de 1883. Je lui ai dit que je reviendrai samedi prochain car je n'avais pas la somme sur moi. Je vais mettre cette semaine à profit pour me renseigner sur la valeur exacte d'un tel jeu. Quelle histoire que je ne trouve pas dans tout Londres un antiquaire spécialiste des cartes pour une estimation.
27 janvier
Lorsque je suis allé à Kensington Gardens ce matin j'ai trouvé Jamie endormi sur son banc. Une bouteille de scotch bon marché était couchée sur le sol. Elle était vide. Mon bonhomme avait dû réussir à vendre quelques papiers dans la semaine pour s'acheter de quoi s'hydrater le gosier. Je l'ai laissé dormir.
Pendant ce temps-là j'ai inspecté ses affaires. Il y avait éparpillé autour du banc une pipe et un paquet de tabac entamé aux 2/3, un bâton d'une trentaine de centimètres qu'il a vraisemblablement taillé en pointe pour fouiller les poubelles et la terre, une paire de chaussettes qui n'a plus de couleur, un blouson blanc qui devait être à la mode dans les années 60 et une grande houppelande en laine qui a dû un jour être grise. Parmi les objets étranges une sarbacane en bois, un chapeau haut de forme noir et une canne épée au pommeau en argent. Son étui à violon ainsi que les partitions et les cartes étaient sous le banc, dissimulés sous un morceau de tissu.
Il s'est réveillé deux heures après mon arrivée mais avec ce qu'il avait ingurgité il aurait très bien pu se réveiller qu'à l'équinoxe de printemps. Il a eu un peu de mal à se remémorer notre conversation de la semaine passée puis il m'a demandé si le prix me convenait toujours. Je lui ai donné l'enveloppe que j'avais apportée avec la somme que m'avait indiqué un antiquaire de Portobello Road, à savoir 130 livres. Une petite fortune pour Jamie qui pourra peut-être garder quelques partitions s'il souhaite se remettre au violon.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de la 38ème édition du jeu "Des mots, une histoire" initié par Olivia du blog Désir d'Histoires. Il n'est pas libre de droits. La photo non plus.
Kensington Gardens
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26/02/2023
Les dimanches poétiques (307)
"Pourquoi va-t-on vers des livres comme on va vers des gens? Pourquoi sommes-nous attirés par des couvertures comme nous le sommes par un regard, une voix qui nous paraît familière, déjà entendue, une voix qui nous détourne de notre chemin, nous fait lever les yeux, attire notre attention et va peut-être changer le cours de notre existence?"
Valérie PERRIN in Changer l'eau des fleurs (Ed. Le Livre de Poche - 2020)
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12/02/2023
A chaque fois plus triste
Marcella s’était rendue plusieurs fois à Venise dans l’espoir de trouver Tiberio. Entreprise insensée. S’il avait vraiment voulu qu’elle le retrouve il lui aurait envoyé des indices, aurait semé des petits cailloux ici et là, l’aurait mise sur la voie. Elle n’avait que le souvenir des maisons sur la photo que Gianni lui avait transmise. Elle essaya de se rappeler où elles pouvaient se situer dans le quartier que Tiberio avait évoqué un soir d’été.
La première fois que Marcella était retournée seule à Venise, elle n’avait pas su par où commencer. Elle avait donc décidé de s’imprégner de l’ambiance du quartier, de noter dans sa tête les boutiques qui y étaient installées. Elle avait scruté les visages des passants qu’elle croisait, avait ausculté chaque silhouette dans l’espoir de reconnaître un corps familier. Puis, elle avait trouvé l’endroit dont Tiberio avait parlé. Quatre immeubles le long du Rio dei Bareteri. Elle n’avait pas osé trop s’attarder devant, craignant le regard des habitants.
Elle ne voulait rien précipiter non plus car elle sentait au fond d’elle un peu de colère et que la colère est toujours mauvaise conseillère. Elle avait le sentiment que Tiberio l’avait abandonnée. Avait-elle dit ou fait quelque chose qui l’aurait poussé à disparaître? Cette question tournait en boucle dans sa tête. Il n’avait en tout cas rien laissé paraître.
La deuxième fois qu’elle s’était rendue à Venise, elle s’était attardée devant les quatre bâtiments. Elle avait regardé le nom sur les boîtes à lettres mais aucun nom ne correspondait à celui de Tiberio. Au n°6 il n’y avait même pas de noms, simplement le numéro des étages inscrit sur chaque boîte. Il n’y avait pas de sonnette non plus. Sur la boîte du rez-de-chaussée était également inscrit “Etage 0” en plus de l’acronyme “RDC”. Qui pouvait confondre le rez-de-chaussée avec le premier étage? En Angleterre cela aurait été possible, mais pas en Italie. Marcella trouva cela inapproprié.
Le temps était maussade le jour où elle y était allée. Elle était un peu plus apaisée mais elle n’avait pas vraiment avancé. Le temps lui manquait pour chercher. Elle avait confié Flavio à ses grands-parents et avait promis qu’elle serait de retour rapidement. Elle avait dû se résoudre à renoncer. Il fallait rentrer. Sur le chemin du retour une vague de tristesse l’avait submergée. Elle avait pleuré. Être si près du but et ne pouvoir le toucher…
La troisième fois qu’elle s’y était rendue, la journée était splendide. Le ciel était d’une rare beauté et l’eau de la lagune avait des teintes bleu irisé. Elle n’avait pas rejoint le quartier tout de suite, préférant flâner un peu le long du Grand Canal. Puis, à nouveau, elle s’était dirigée vers les quatre immeubles repérés. Elle les avait contournés pour arriver cette fois-ci de l’autre côté. Mais pas de miracle, rien n’avait changé. Aucun indice supplémentaire. Aucune silhouette familière. Elle ne l’avait pas trouvé.
Marcella était rentrée à Rome encore plus triste que la fois précédente et se demanda si elle ne devait pas faire une croix sur la cité des Doges, renoncer définitivement à y aller. Ou bien devait-elle simplement éviter ce quartier? Savoir que Tiberio pouvait s’y balader était douloureux rien que d’y penser. Savoir qu’il était vivant et qu’elle ne pouvait pas lui parler…
Se sentant diminué Tiberio avait-il voulu la protéger, la laisser vivre sa vie sans soucis? Ou bien ne supportait-il pas qu’elle le voit affaibli, les traits tirés par la maladie? Elle aurait aimé lui dire que la maladie et la mort font partie de la vie, qu’ils se seraient battus ensemble, qu’il y aurait eu des moments de répit. Ils se seraient tenu lieu de tout et auraient compté pour rien le reste.
Une autre hypothèse avait cependant germé depuis peu dans son esprit. Marcella trouvait que Tiberio ressemblait beaucoup à un de ses oncles mort accidentellement pendant la guerre d’Algérie. Elle avait trouvé quelques photos de lui dans un vieil album chez ses parents. C’était en fait un demi-frère de son père. On lui en avait peu parlé. Il n’y avait que sa grand-mère qui l’évoquait avec des gens qu’elle connaissait. Lorsque le corps avait été rapatrié en France le cercueil était scellé. Et si cet oncle n’avait pas été tué? S’il avait changé d’identité? S’il avait eu des enfants?
19:00 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes originaux, écriture, littérature, actu, actualité, venise, italie | Facebook |
05/02/2023
Les dimanches poétiques (306)
"Birds flying high
You know how I feel
Sun in the sky
You know how I feel
Breeze driftin' on by
You know how I feel
It's a new dawn
It's a new day
It's a new life
And I'm feeling good
I'm feeling good [...]"
Nina SIMONE Feeling good
08:00 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, lecture, littérature, actu, actualité | Facebook |