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20/05/2018

Une odeur âcre de papier froid et froissé

Baptiste regarda une deuxième fois dans le bac pour être bien sûr qu'il n'avait pas eu la berlue. Il y avait là toutes sortes de papiers: des livres de poche, des magazines, des brochures, de vieux annuaires, des carnets de notes... Tous jetés pêle-mêle dans ce container entreposé dans le garage. Baptiste n'y avait jamais vraiment porté attention. D'ailleurs il ne se rendait pas souvent dans le garage quand il venait à Combloux.

Pourquoi son père avait mis tout ça dans ce bac? C'aurait été plus simple de s'en débarrasser au fur et à mesure. S'en servait-il pour allumer le feu? Son paternel se fichait pas mal de la littérature et les bouquins ne l'intéressaient pas. Frison-Roche et Stendhal avaient peut-être crépité ensemble dans l'âtre...

Simon, pendant ses deux années d'études post-bac, avait entassé des centaines de bouquins dans sa chambre.  Lorsqu'il était décédé le père Vittoz avait décidé de tout garder puis, il en avait eu assez de vivre dans le passé. Les livres de Simon avaient disparu. Baptiste pensait que les ouvrages de son frère avaient été donnés.

Il se dégageait du container une odeur âcre de papier froid et froissé, d'encre en décomposition. Ca piquait les narines. Baptiste se détourna et rabaissa le couvercle.

S'il voulait vendre la maison rapidement il devait se dépêcher de la vider. Une armée de souris ne viendrait sûrement pas à bout de toutes ces pages. Il fallait trouver une solution plus efficace. Baptiste entreprit de tout brûler.

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°304 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits.

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08/05/2018

Comment était-ce possible?

Le vent fouettait la terre sans ménagement. La terre et son visage. Il avait du sable et de la poussière plein la bouche. Ses yeux étaient boursouflés, secs. Ils les ouvraient à grand peine. L'horizon lui apparaissait flou. Il n'aurait su dire dans quelle direction il allait. Etait-ce le Nord? Le Sud? Il avançait péniblement. Ses vêtements blancs étaient maintenant ocre.

Puis, un piquet, auquel on avait attaché un chiffon, se dressa devant lui. Il distingua d'autres bâtons du même acabit plantés plus loin. L'ensemble semblait délimiter une zone. Un terrain de jeu? Une piste d'atterrissage? Il cherchait des yeux une cabane, un semblant de vie, mais il n'y avait rien. Comment était-ce possible? Quelqu'un avait bien mis ces piquets en terre, attaché ces bouts de tissu... Il tomba à genoux, désespéré. Sa gourde était vide et il ne sentait plus ses poumons.

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°303 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Vincent Hequet, n'est pas libre de droits non plus.

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15/04/2018

Son endroit préféré

Sarah aimait s'installer près de la grande baie vitrée pour bouquiner. C'était son endroit préféré. Le salon était pourtant confortable mais il ne possédait pas cette clarté. Lorsqu'elle avait acheté le chalet cette fenêtre n'existait pas. Pas plus que la bibliothèque d'ailleurs. C'était alors un grand cagibi dans lequel le père Vittoz rangeait ses conserves et qui lui servait aussi de débarras. Sarah avait jugé qu'il y avait assez de place dans le garage pour y stocker quelques provisions et tous ses produits ménagers. Elle avait donc décidé de le transformer. Elle voulait en faire une bibliothèque. Une petite alcôve entre la cuisine et la pièce à vivre.

Quand elle n'y ouvrait pas un livre elle aimait à s'y poster pour observer l'œuvre des saisons. En hiver elle aimait à regarder la neige redessiner les contours du paysage. Au printemps, Sarah guettait l'apparition des insectes et les premiers bourgeons. L'été, elle ouvrait la fenêtre. L'air projetait à l'intérieur du chalet une odeur d'herbe et de fleurs séchées. L'automne teintait l'horizon de marron. Chaque saison apportait de nouvelles sensations, la course des oiseaux, le ballet des papillons, le frémissement des fleurs les soirées d'été, une pluie drue de flocons...

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°300 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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01/04/2018

Elle ne s'était pas inquiétée

Le ronronnement des voitures de karting ne couvrait pas complètement le sifflement des avions qui s'élevaient dans le ciel. C'était infernal. Une après-midi là-bas et on était sourd toute la soirée. Milena avait tenu absolument à y aller ce jour-là, le jour où je lui avais fait ma demande. On avait pris des photos. Cela me fait bizarre de les regarder sans elle. Sourire noir et blanc sur ciel blanc. Elle était jolie dans sa robe écossaise sans manches.

C'est en faisant du rangement pour le déménagement que je suis tombé sur ce paquet de photos. Elle les avait mises dans une vieille boîte à chaussures qui prenait la poussière depuis des années sous l'armoire. Elle avait gardé tout ça pour conjurer la perte de mémoire, au cas où, en cas de maladie. Ca fait maintenant six mois qu'elle est partie. Et elle avait toute sa tête, sa mémoire était intacte. Elle pouvait citer le moindre détail de notre vie sans ressortir les photos. D'ailleurs, on n'en prenait plus beaucoup. Quelques unes pendant les vacances, l'été, avec les enfants. Quelques clichés à Noël quand le vieux barbu passait apporter les cadeaux. La dernière où l'on est tous les deux a été prise à nos cinquante ans de mariage. On ne savait pas trop si on allait les fêter. Elle était déjà malade. Ce putain de K avait déjà commencé à la bouffer, à la ronger, petit à petit, se repaissant de ses cellules pour en fabriquer de mauvaises.

Elle ne s'était pas inquiétée de perdre dix kilos en même pas trois mois. C'est la fatigue permanente qui l'avait poussée à consulter. Alerté par les symptômes le médecin lui avait prescrit un check-up complet. Le foyer primitif était logé dans les poumons. Les radios montraient par ailleurs des taches anormales sur les vertèbres. Deux métas osseuses. Une localisée en D4 et l'autre en D8.

La tumeur n'était "pas résécable". L'oncologue avait employé son jargon de médecin pour noyer le poisson. Et puis on lui avait demandé ce que voulait dire "pas résécable"... Je revois sa mine défaite, ses yeux baissés sur le dossier. Il avait fini par expliquer. On était sonnés, KO sur le ring. Putain d'uppercut! Restait la chimio à tenter, qui si elle n'éradiquait pas la maladie, permettrait de ralentir sa progression. Et on s'était battus. Ma Milena avait combattu comme une lionne, une mamma italienne qui tient la maison jusqu'au bout.

Y a tant d'amour, de souvenirs

Autour de toi, toi la mamma

Y a tant de larmes, et de sourires

A travers toi, toi la mamma...

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, d'ursulamadariaga, n'est pas libre de droits non plus.

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18/03/2018

Sauter l'obstacle

Darren essayait d'accélérer mais ses poumons refusaient de lui fournir davantage d'oxygène pour un effort supplémentaire. La barrière en bas de la prairie se rapprochait et elle semblait de plus en plus haute à mesure qu'il avançait. L'animal était toujours sur ses talons. Il semblait même gagner en vitesse. Il était énorme, puissant, les muscles tendus, prêt à écraser l'homme qu'il poursuivait. Darren n'osait pas se retourner. La sueur coulait le long de son dos, imprégnant toutes les couches de vêtements qu'il avait enfilés.

Quelle idée de vouloir couper à travers champs pour rentrer chez lui?! La maison du vieux McLeod n'était qu'à deux kilomètres par la route. Non, franchement, quelle idée! Pourquoi n'avait-il pas emprunté le même chemin qu'à l'aller? Deux kilomètres, ce n'était rien du tout, et les routes par ici n'étaient pas trop fréquentées. Il se rendait compte maintenant que ç'aurait été moins dangereux que le champ.

Plus que vingt mètres...

A présent la barrière lui paraissait énorme. Il essaya de se souvenir comment il sautait par-dessus la petite barrière de bois de la maison de ses parents quand il était enfant. La petite barrière de bois que son père fermait toujours à clé pour l'empêcher d'aller se balader.

Les sabots du taureau martelaient le sol et faisaient vibrer la terre. Darren ressentait les vibrations dans ses mollets. Il était à bout de souffle et pensait s'écrouler avant de pouvoir franchir l'obstacle. Son cœur tapait si fort sous ses côtes...

Cinq mètres...

Le tout était de prendre de l'élan au bon moment. Prendre un bon appui, mettre les jambes à l'horizontale... L'obstacle franchi Darren continua à courir. L'animal avançait à une telle vitesse qu'il n'allait pas arrêter sa course comme ça. Il  était bien capable de voler lui aussi par-dessus la barrière. Mais après avoir parcouru dix mètres Darren entendit un grand fracas. Le taureau s'était encastré dans la barrière. La bête, écumante, beuglait de douleur et de rage. Darren ne se retourna pas. Il ne voulait pas voir l'ampleur des dégâts et continua à courir jusque chez lui.

Quelques semaines plus tard, alors qu'il lui rendait visite, le vieux McLeod lui raconta toute l'histoire de son plus beau taureau mort de folie. Il pensait que l'animal avait couru sans raison pendant des heures puis s'était encastré dans la barrière au bas de la prairie. Il l'avait découvert le lendemain matin, sans vie, avec des morceaux de bois fichés dans les chairs. Darren n'avait pas démenti les propos de son ami.

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°298 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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11/03/2018

Il avait flairé le danger

Après trois semaines passées à Molfetta, Francesco et Marcella étaient retournés à Rçme. Cependant ni l'un ni l'autre n'avait réintégré son ancien logis. Berghetti était persuadé que leurs logements étaient surveillés et que leurs lignes téléphoniques avaient été placées sur écoute. Ils voulaient passer au travers des radars. Francesco avait changé de numéro de portable. Marcella n'utilisait plus le sien. Elle n'appelait pas Tiberio qui lui aussi était sûrement surveillé.

Le frère de Berghetti leur avait trouvé un appartement dans la via dei Sabini, à deux pas de la fontaine de Trevi. Un duplex récemment rénové, aux murs blancs, au mobilier design et à l'électroménager dernier cri. Il occupait les deux derniers étages de l'immeuble avec un accès privé à la terrasse. Marcella s'était installée dans la chambre du haut et Francesco avait choisi celle du bas, ce qui lui permettait d'avoir toujours un œil sur la porte d'entrée.

Ils sortaient toujours en plein jour avec lunettes de soleil et casquettes, et un appareil photo en bandoulière. Ils se faisaient passer pour des touristes. Francesco ne parlait pas. C'est Marcella qui s'adressait aux commerçants dans un mauvais italien entrecoupé de mots français. Mais elle en avait assez de se cacher. Elle voulait retourner chez elle, dans la via di Santa Dorotea. Francesco évoquait le danger pour la garder éloignée de Tiberio mais il avait remarqué que son humeur avait changé. Lui non plus ne pouvait pas rester indéfiniment caché. A la fac ses collègues devaient s'inquiéter. Il n'avait pas donné de nouvelles depuis des lustres. Et aurait-il le temps de leur en donner?

Alors qu'ils flânaient près de la fontaine de Trevi Francesco remarqua deux cols romains qui s'avançaient vers eux. Il saisit la main de Marcella. Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi il la tirait ainsi par le bras. Berghetti marchait de plus en plus vite. Il avait flairé le danger. Le prêtre à la casquette lui avait laissé un mauvais souvenir la dernière fois qu'il l'avait croisé. C'était à l'université. Il lui avait logé une balle dans le mollet. Francesco et Marcella se mêlèrent à un groupe de touristes faisant des selfies et prirent quelques clichés en surveillant discrètement les deux curés.

Textes précédents:

Il n'en croyait pas ses yeux

Persistance rétinienne

Entre Bari et Barletta

Soleil Brûlant

Il rêvassait devant la vitrine

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°297 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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19/02/2018

Mettre de la distance avec le passé

Simon avait finalement embarqué pour Osaka. Après une escale en Egypte, le cargo avait fait route vers l'Orient. Pendant quinze jours il avait vécu au rythme des matelots avec en bruit de fond la mer et le grincement des conteneurs entassés sur le pont. Pourquoi avait-il fui ainsi? Voulait-il mettre davantage de distance avec son passé? Mettre davantage de distance entre lui et Combloux, entre lui et les Edelweiss, entre lui et Sarah? Il ne savait plus trop pourquoi il lui avait envoyé une carte de Gênes. Ils se connaissaient à peine. Et très mal. Mais il avait eu l'impression qu'elle le comprenait. Certes, il lui avait menti sur son identité et les raisons de sa présence à Combloux mais il pensait qu'elle avait lu en lui. Lorsqu'elle avait posé ses yeux sur lui il avait eu le sentiment qu'elle avait vu tout ce qu'il avait essayé de lui cacher.

Il marchait beaucoup dans la ville. Osaka fourmillait de vie et de rues plus étonnantes les unes que les autres. Il aimait ces petites échoppes de bois qui étaient légion dans le quartier qu'il s'était choisi. Elles proposaient de la nourriture à toute heure de la journée avec ces mêmes vendeurs à la gouaille perçante, pantins interchangeables qui travaillaient sans répit du lundi au dimanche. L'odeur de cuisine, mêlée à celle de l'asphalte, produisait quelque chose d'assez écoeurant. Pourtant, il n'était pas le dernier à y acheter quelque chose pour se caler le ventre. Comme les autres il s'installait sur les bancs adossés aux façades pour manger ces petits pains en forme d'escargot dont tout le monde raffolait, sa chevelure brune ne contrastant pas avec celle des autochtones. Il s'en dégageait une sombre clarté; un oxymore capillaire qui faisait des envieux.

Lorsqu'il n'arpentait pas la ville il restait à la pension et écrivait. Beaucoup. Il noircissait les pages à une vitesse folle. Il couchait sur le papier ce qu'il portait en lui depuis toutes ces années. Le moment était venu de se délester de ce fardeau. Et au fond de lui il savait à qui il enverrait son récit.

Textes précédents:

Il avait la mine grise

Une seule et même personne

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°295 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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