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10/12/2017

Une procession de fourmis

L'avion mangeait peu à peu les passagers et les bagages. Le gros oiseau blanc déglutissait lentement ceux qui arrivaient en haut des marches. Des hommes en gilets fluorescents scrutaient la longue file qui cheminait sur le tarmac. On aurait dit une procession de fourmis qui s'en allaient de leur plein gré vers l'oiseau affamé.

Les agents fluorescents s'assuraient qu'aucune fourmi ne déviait de la file, qu'aucune n'allait tenter un geste insensé, ou bien faire demi-tour.  L'avion ne pouvait pas être retardé. Il n'était plus l'heure de regretter. Plus l'heure de se demander si elles avaient fait le bon choix. Le choix de tout quitter.

Quand Madalina et les siens avaient su qu'un avion serait affrété le lendemain ils avaient préparé immédiatement leurs valises. Fuir le pays était peut-être l'unique chance pour eux d'être à nouveau libres. Ils se terraient dans leur appartement depuis des mois, osant à peine sortir pour trouver de quoi manger. Le pays était affamé. Le moindre haussement de voix était réprimé. Sortir du pays leur permettrait de témoigner, de dire au monde entier que les droits de l'homme étaient bafoués, que la presse était muselée, que les écrivains étaient pourchassés, et que leur président se prenait pour le "génie des Carpates". Il fallait que tout cela cesse. Madalina saluait le courage de ces hommes qui avaient décidé de s'emparer d'un avion pour sauver une poignée de leurs compatriotes sachant que des milliers d'autres, telles des fourmis, seraient piétinés.  

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°287 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, prise par Leiloona, n'est pas libre de droits non plus.

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03/12/2017

Une douleur au coeur

Le soleil jouait avec les vitres de la serre qui ressemblait à une gaze concave taillée dans le verre et l'acier. La chaleur y était douce en ce début de printemps. Charles s'arrêta un instant. Les paupières closes, le sécateur dans la main droite, une rose dans la gauche, il goûta les rayons de l'astre qui se dispersaient en mille éclats à l'intérieur.

Il revît Hortense près du rosier duquel il avait détaché la fleur, vêtue d'une robe blanche aux dentelles fines et gracieuses.  Elle parlait et souriait à quelqu'un qu'il ne voyait pas. C'était il y a longtemps. Une éternité. De cette journée il avait conservé une douleur au cœur, celle d'une épine de rose, restée fichée dans l'organe qui préside aux sentiments. Et depuis ce jour Charles n'avait plus jamais ressenti cette sensation de battements qui s'accélèrent et résonnent jusque dans les tempes, cet émoi qui l'avait envahi lorsque la belle Hortense était apparue dans le jardin.

Aujourd'hui il était vieux. Le patron le rappellerait sans qu'il n'ait la possibilité de revoir Hortense. Les rosiers, eux, s'épanouissaient en attendant d'accueillir d'autres jeunes gens.

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n° 286 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, d'Emma Jane Browne, n'est pas libre de droits non plus.

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13/11/2017

Le vide l'attirait

Il regarda ses pieds un long moment avant de poser ses yeux sur le lointain. Le train filait au creux de la vallée. Tobias ne savait plus quelle destination il avait choisi. Malgré les idées noires qui le taraudaient il trouva le paysage beau. Mais ce n'était pas ça qui allait le faire changer d'avis. Il voulait en finir.

L'air lui fouettait maintenant le visage. Le train était lancé à toute allure. Le contrôleur était passé vérifier les tickets et ne repasserait probablement pas jusqu'à ce que la loco entre en gare. Mais quelle gare? Il s'en fichait. De toute façon il ne la verrait pas. De nouveau il  regarda ses pieds. Le ballaste défilait. Le vide l'attirait. Puis, alors qu'il allait prendre son élan, une pression le tira à l'intérieur du train. Ce fut si soudain et violent qu'il se trouva projeté au sol. La porte se ferma dans un grand bruit métallique.

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°283 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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11/09/2017

Transie jusqu'aux os

Quand Victoria avait quitté Fort Augustus le ciel était clair. Il n'y avait pas l'ombre d'un cumulus. Rien que l'azur et la douceur des rayons du soleil. Quelques habitants avaient même sorti des chaises sur le pas de leur porte.

Arrivée au lieu-dit, quelques nuages avaient fait leur apparition, mais rien d'inquiétant. Victoria était partie sur la lande confiante, vêtue d'un jean, d'un polo et d'une veste de coton. Elle n'avait même pas emporté le chapeau qu'elle laissait dans la voiture au cas où elle se ferait surprendre par la pluie. Elle était à mi-parcours lorsque les nuages s'étaient amoncelés dans le ciel, les uns après les autres, toujours plus gros et toujours plus sombres.

Elle était à quelques mètres de l'arbre quand la pluie avait commencé à tomber. D'abord de fines gouttes puis, de plus grosses, toujours plus nombreuses, jusqu'à ce que la lande soit lavée à grande eau. Elle était transie jusqu'aux os en arrivant à la voiture et avait transformé l'habitacle en piscine. Ses vêtements lui collaient à la peau, elle reniflait, son maquillage était complètement délavé.

Texte original rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°275 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Romaric Cazaux, n'est pas libre de droits non plus.

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06/09/2017

Toute petite

Victoria avait mis deux heures pour atteindre cet endroit mystérieux dont lui avait si souvent parlé Lina. Il faisait froid et le vent balayait les nuages à toute allure.

L'arbre à vœux, surplombant le Loch Ness, était visible de loin. Les morceaux de tissu accrochés aux branches effectuaient une danse étrange. Il n'y avait aucune construction à l'horizon. L'arbre seul témoignait d'un semblant de vie. Mais Victoria n'avait croisé personne sur le chemin. Elle s'était dit que se balader seule sur la lande n'était pas très prudent.

Le loch était immense, la terre hostile, et le ciel menaçant. Elle se sentait toute petite face à la force des éléments. Pourquoi n'avait-elle pas rebroussé chemin tant qu'il était encore temps? L'orage allait éclater d'une minute à l'autre et elle serait trempée de la tête aux pieds avant d'arriver à la voiture.

Elle sortit un petit morceau de soie bleue qu'elle noua fermement. Son vœu allait-il se réaliser? Cela faisait huit jours qu'elle y pensait. Elle voulait revivre ce mercredi soir. Ce mercredi une semaine auparavant. Après réflexion la chose lui avait paru improbable et pourtant...

Texte original rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°274 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Vincent Héquet, n'est pas libre de droits non plus.

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28/05/2017

Ses yeux brillaient de mille feux

La plage était déserte. Tiberio et Marcella cheminaient tranquillement. Ils avaient ôté leurs chaussures pour être au contact des éléments. Le sable humide sous leurs pieds était une sensation curieuse. Ils marchaient l'un à côté de l'autre en silence. Leurs cheveux se pliaient aux désirs du vent. C'était la première fois qu'ils se promenaient pieds nus sur l'estran. D'habitude ils restaient tout en haut de la plage, là où le sable était toujours sec et où l'après-midi les familles allongeaient leurs serviettes.

Le sable froid titillait leur peau. Ils se retournaient de temps à autre pour contempler leurs empreintes figées dans le large tapis ondulé. L'air, chargé d'iode et d'embruns, leur mettait les poumons sous pression. Ils sentaient chaque bouffée passer dans leur trachée, comme si quelqu'un, le pied sur une pompe, avait essayé de les gonfler tout entiers.

Ils marchèrent ainsi pendant une demi-heure puis firent demi-tour après avoir observé longuement l'horizon. Des bateaux de pêche s'en allaient dans le lointain. Tiberio prit la main de Marcella et la serra fort. Elle se rapprocha de lui et se mit sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Ils n'avaient pas échangé un mot depuis qu'ils étaient descendus de voiture. Tiberio l'enlaça tout contre lui et observa son visage. Les yeux de Marcella brillaient de mille feux, concurrençant la lumière vive du soleil.

Textes précédents: N°5, N°6

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°269 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Vincent Héquet, n'est pas libre de droits non plus.

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22/05/2017

Nuits blanches

Comme à chaque fois qu'il se réveillait la nuit Tobias alluma toutes les lumières de l'appartement. Il voulait distinguer chaque meuble et chaque objet. La pénombre l'inquiétait. Elle amplifiait son sentiment de solitude. De plus le silence de la nuit le terrifiait.

Lorsque tout l'espace autour de lui fut éclairé il prit un paquet de copies qu'il devait corriger et s'allongea sur le canapé. Les devoirs étaient plus mauvais les uns que les autres. Avait-il donné des exercices si difficiles à ses élèves? Il savait que ceux-là étaient en filière littéraire mais ce n'était pas, pensait-il, parce qu'ils avaient choisi les lettres qu'ils devaient laisser de côté les mathématiques. Il repensa à son propre parcours. Malgré des prédispositions pour les matières scientifiques, il n'avait jamais négligé les cours de français et de littérature qu'il avait appris avec autant d'intérêt que les cours de biologie et de physique-chimie.

Il rangea les copies et alla se planter devant la baie vitrée du balcon. Le temps s'étirait lentement. Dans l'immeuble d'en face tout le monde semblait dormir. Il aurait aimé voir ne serait-ce qu'une petite veilleuse allumée. Mais rien. Il était le seul à devoir veiller. Le sommeil l'avait abandonné. Il pouvait prendre un bouquin en attendant l'heure de se préparer. Tobias se réfugiait souvent dans les livres. Mais les livres, ce n'était pas les gens. On ne pouvait pas engager une conversation avec eux. Il aurait aimé avoir quelqu'un à qui se confier, quelqu'un à aimer. Or, il semblait être transparent. Personne ne s'intéressait à lui. On ne lui posait jamais de questions lors des réunions, comme si son avis ne comptait pas. Du coup, il s'était peu à peu éloigné des autres. Sans s'en rendre bien compte il s'était isolé. Il ne regardait plus vraiment les gens.

La solitude le serrait à la gorge. Le nœud qu'elle avait passé autour de son cou l'étouffait chaque jour davantage. Les nuits blanches ne faisaient qu'accentuer la sensation. Il avait l'impression par moments de perdre pied. Plusieurs fois il avait évalué la distance entre la rue et le balcon. Oui, il y avait déjà pensé à faire le grand saut. Passer un pied par-dessus la rambarde. Puis l'autre. Et tout serait fini.

Textes précédents: N°1, N°2, N°3

Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°268 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits.

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