18/12/2017
Il n'en croyait pas ses yeux
Pietro n'en croyait pas ses yeux. Il avait devant lui l'un des plus beaux textes rédigé en slavon liturgique. Il n'était même pas certain que la bibliothèque du Vatican renfermait un tel trésor, et pourtant elle comptait plus d'un chef-d'oeuvre sur ses étagères. Où Francesco Berghetti avait bien pu dénicher ce texte? Il lui avait apporté une heure auparavant, lui demandant de le traduire rapidement, et qu'il passerait le récupérer le lendemain avec la traduction.
Pietro ne perdit pas une minute. Il ajusta la lampe au-dessus du bureau afin que la lumière ne soit pas trop crue, chaussa ses lunettes puis, avec religiosité, s'avança pour ausculter avec attention le feuillet que Berghetti lui avait remis.
Ce texte faisait l'objet de rumeurs et alimentait beaucoup de légendes. Tout le monde en parlait mais personne ne l'avait jamais vu. Pietro lui-même avait longuement débattu avec des historiens pour savoir s'ils ne cherchaient pas une chimère. Ils avaient émis les thèses les plus folles quant à l'endroit où le feuillet se trouvait, si toutefois il n'avait pas été détruit, les églises ayant connu de nombreux pillages.
Durant sa carrière Pietro avait étudié beaucoup de textes, et encore plus depuis qu'il était directeur du département d'études slaves de l'Université de Bologne. Il avait exhumé des rayons des manuscrits en vieux slave, avait lu la moitié des ouvrages en cyrillique conservés dans la bibliothèque de la faculté, mais n'avait jamais vu à Bologne de texte en slavon, qui plus est liturgique. L'unique moment où il avait eu l'occasion d'en voir, et encore sur feuilles polycopiées, avait été lors de son année passée à Paris. Il avait alors fait beaucoup de versions et se débrouillait plutôt bien mais bien qu'il eut un très bon professeur à l'époque, l'un des meilleurs d'Europe, il ne lui faudrait pas moins de toute une nuit et d'une journée pour décortiquer le texte que Berghetti lui avait confié.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°288 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, prise par Leiloona, n'est pas libre de droits non plus.
23:00 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, atelier d'écriture, écrivain, littérature, actu, actualité | Facebook |
10/12/2017
Une procession de fourmis
L'avion mangeait peu à peu les passagers et les bagages. Le gros oiseau blanc déglutissait lentement ceux qui arrivaient en haut des marches. Des hommes en gilets fluorescents scrutaient la longue file qui cheminait sur le tarmac. On aurait dit une procession de fourmis qui s'en allaient de leur plein gré vers l'oiseau affamé.
Les agents fluorescents s'assuraient qu'aucune fourmi ne déviait de la file, qu'aucune n'allait tenter un geste insensé, ou bien faire demi-tour. L'avion ne pouvait pas être retardé. Il n'était plus l'heure de regretter. Plus l'heure de se demander si elles avaient fait le bon choix. Le choix de tout quitter.
Quand Madalina et les siens avaient su qu'un avion serait affrété le lendemain ils avaient préparé immédiatement leurs valises. Fuir le pays était peut-être l'unique chance pour eux d'être à nouveau libres. Ils se terraient dans leur appartement depuis des mois, osant à peine sortir pour trouver de quoi manger. Le pays était affamé. Le moindre haussement de voix était réprimé. Sortir du pays leur permettrait de témoigner, de dire au monde entier que les droits de l'homme étaient bafoués, que la presse était muselée, que les écrivains étaient pourchassés, et que leur président se prenait pour le "génie des Carpates". Il fallait que tout cela cesse. Madalina saluait le courage de ces hommes qui avaient décidé de s'emparer d'un avion pour sauver une poignée de leurs compatriotes sachant que des milliers d'autres, telles des fourmis, seraient piétinés.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°287 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, prise par Leiloona, n'est pas libre de droits non plus.
22:30 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : écriture, atelier d'écriture, écrivain, littérature, actu, actualité | Facebook |
03/12/2017
Une douleur au coeur
Le soleil jouait avec les vitres de la serre qui ressemblait à une gaze concave taillée dans le verre et l'acier. La chaleur y était douce en ce début de printemps. Charles s'arrêta un instant. Les paupières closes, le sécateur dans la main droite, une rose dans la gauche, il goûta les rayons de l'astre qui se dispersaient en mille éclats à l'intérieur.
Il revît Hortense près du rosier duquel il avait détaché la fleur, vêtue d'une robe blanche aux dentelles fines et gracieuses. Elle parlait et souriait à quelqu'un qu'il ne voyait pas. C'était il y a longtemps. Une éternité. De cette journée il avait conservé une douleur au cœur, celle d'une épine de rose, restée fichée dans l'organe qui préside aux sentiments. Et depuis ce jour Charles n'avait plus jamais ressenti cette sensation de battements qui s'accélèrent et résonnent jusque dans les tempes, cet émoi qui l'avait envahi lorsque la belle Hortense était apparue dans le jardin.
Aujourd'hui il était vieux. Le patron le rappellerait sans qu'il n'ait la possibilité de revoir Hortense. Les rosiers, eux, s'épanouissaient en attendant d'accueillir d'autres jeunes gens.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n° 286 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, d'Emma Jane Browne, n'est pas libre de droits non plus.
22:30 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : écriture, écrire, atelier d'écriture, littérature, amour, actu, actualité | Facebook |
13/11/2017
Le vide l'attirait
Il regarda ses pieds un long moment avant de poser ses yeux sur le lointain. Le train filait au creux de la vallée. Tobias ne savait plus quelle destination il avait choisi. Malgré les idées noires qui le taraudaient il trouva le paysage beau. Mais ce n'était pas ça qui allait le faire changer d'avis. Il voulait en finir.
L'air lui fouettait maintenant le visage. Le train était lancé à toute allure. Le contrôleur était passé vérifier les tickets et ne repasserait probablement pas jusqu'à ce que la loco entre en gare. Mais quelle gare? Il s'en fichait. De toute façon il ne la verrait pas. De nouveau il regarda ses pieds. Le ballaste défilait. Le vide l'attirait. Puis, alors qu'il allait prendre son élan, une pression le tira à l'intérieur du train. Ce fut si soudain et violent qu'il se trouva projeté au sol. La porte se ferma dans un grand bruit métallique.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°283 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.
18:00 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
11/09/2017
Transie jusqu'aux os
Quand Victoria avait quitté Fort Augustus le ciel était clair. Il n'y avait pas l'ombre d'un cumulus. Rien que l'azur et la douceur des rayons du soleil. Quelques habitants avaient même sorti des chaises sur le pas de leur porte.
Arrivée au lieu-dit, quelques nuages avaient fait leur apparition, mais rien d'inquiétant. Victoria était partie sur la lande confiante, vêtue d'un jean, d'un polo et d'une veste de coton. Elle n'avait même pas emporté le chapeau qu'elle laissait dans la voiture au cas où elle se ferait surprendre par la pluie. Elle était à mi-parcours lorsque les nuages s'étaient amoncelés dans le ciel, les uns après les autres, toujours plus gros et toujours plus sombres.
Elle était à quelques mètres de l'arbre quand la pluie avait commencé à tomber. D'abord de fines gouttes puis, de plus grosses, toujours plus nombreuses, jusqu'à ce que la lande soit lavée à grande eau. Elle était transie jusqu'aux os en arrivant à la voiture et avait transformé l'habitacle en piscine. Ses vêtements lui collaient à la peau, elle reniflait, son maquillage était complètement délavé.
Texte original rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°275 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Romaric Cazaux, n'est pas libre de droits non plus.
18:00 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : texte original, écriture, littérature, actu, actualité | Facebook |
06/09/2017
Toute petite
Victoria avait mis deux heures pour atteindre cet endroit mystérieux dont lui avait si souvent parlé Lina. Il faisait froid et le vent balayait les nuages à toute allure.
L'arbre à vœux, surplombant le Loch Ness, était visible de loin. Les morceaux de tissu accrochés aux branches effectuaient une danse étrange. Il n'y avait aucune construction à l'horizon. L'arbre seul témoignait d'un semblant de vie. Mais Victoria n'avait croisé personne sur le chemin. Elle s'était dit que se balader seule sur la lande n'était pas très prudent.
Le loch était immense, la terre hostile, et le ciel menaçant. Elle se sentait toute petite face à la force des éléments. Pourquoi n'avait-elle pas rebroussé chemin tant qu'il était encore temps? L'orage allait éclater d'une minute à l'autre et elle serait trempée de la tête aux pieds avant d'arriver à la voiture.
Elle sortit un petit morceau de soie bleue qu'elle noua fermement. Son vœu allait-il se réaliser? Cela faisait huit jours qu'elle y pensait. Elle voulait revivre ce mercredi soir. Ce mercredi une semaine auparavant. Après réflexion la chose lui avait paru improbable et pourtant...
Texte original rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°274 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Vincent Héquet, n'est pas libre de droits non plus.
17:00 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
28/05/2017
Ses yeux brillaient de mille feux
La plage était déserte. Tiberio et Marcella cheminaient tranquillement. Ils avaient ôté leurs chaussures pour être au contact des éléments. Le sable humide sous leurs pieds était une sensation curieuse. Ils marchaient l'un à côté de l'autre en silence. Leurs cheveux se pliaient aux désirs du vent. C'était la première fois qu'ils se promenaient pieds nus sur l'estran. D'habitude ils restaient tout en haut de la plage, là où le sable était toujours sec et où l'après-midi les familles allongeaient leurs serviettes.
Le sable froid titillait leur peau. Ils se retournaient de temps à autre pour contempler leurs empreintes figées dans le large tapis ondulé. L'air, chargé d'iode et d'embruns, leur mettait les poumons sous pression. Ils sentaient chaque bouffée passer dans leur trachée, comme si quelqu'un, le pied sur une pompe, avait essayé de les gonfler tout entiers.
Ils marchèrent ainsi pendant une demi-heure puis firent demi-tour après avoir observé longuement l'horizon. Des bateaux de pêche s'en allaient dans le lointain. Tiberio prit la main de Marcella et la serra fort. Elle se rapprocha de lui et se mit sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Ils n'avaient pas échangé un mot depuis qu'ils étaient descendus de voiture. Tiberio l'enlaça tout contre lui et observa son visage. Les yeux de Marcella brillaient de mille feux, concurrençant la lumière vive du soleil.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture Une photo, quelques mots n°269 initié par Leiloona. Il n'est pas libre de droits. La photo, de Vincent Héquet, n'est pas libre de droits non plus.
21:00 Publié dans Textes originaux | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : textes originaux, écriture, littérature, plage, soleil, amour, actu, actualité | Facebook |