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30/05/2013

Ses lèvres étaient sucrées

Le Cuauhtemoc ressemblait plus à un bateau de pirates qu'à un navire école. C'est du moins l'impression que Tiberio et Marcella en eurent en cette fin de soirée dans le port de Fiumicino. Le crépuscule donnait un air mystérieux au voilier.

Le déclin du jour était leur moment préféré. La Méditerranée prenait des couleurs jaune orangé et brillait comme si des milliers de perles de cristal avaient été jetées à la surface de l'eau. Tout le paysage était modifié à travers ce prisme composé de mille facettes éblouissantes.

Les vigiles du port, dans leur tour en forme de polygone, ne chômaient pas. Outre les vieux gréements amarrés le long des quais, ils devaient surveiller les petites embarcations qui essayaient de trouver la meilleure place sur le Tibre afin de ne pas manquer une miette du feu d'artifice.

Marcella vérifia si son chignon, ressemblant fort à ceux des Bigoudènes, n'était pas défait. Tiberio, la voyant vérifier ses cheveux, l'attira près de lui et l'embrassa. Ses lèvres étaient encore sucrées de la crêpe qu'elle avait mangée quelques minutes plus tôt. Tiberio aurait aimé goûter sa bouche plus longtemps mais elle se dégagea de son étreinte pour l'entraîner lui et Flavio vers un autre bateau.

Ce texte a été rédigé pour l'édition 103 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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18/05/2013

Un homme sans relief

-"Mesdames, messieurs, je vous ai convoqués ce matin pour vous faire part d'une modification de vos emplois du temps pour les deux semaines à venir. Suite à l'arrêt maladie de Tobias Loseiner, professeur de physique et de chimie, je suis contrainte de redistribuer ses cours et notamment de répartir les classes auxquelles il enseignait ces matières."

La principale du collège connaissait tous les dangers d'une telle annonce: les visages des professeurs qui se crispent en constatant qu'ils devront faire plus d'heures que celles initialement prévues, et une certaine tension dans leur regard. Emelinda Wollenfeld savait par ailleurs qu'elle ne devait faire preuve d'aucune faiblesse, qu'aucun doute ne devait s'installer dans son âme sur le bien fondé de cette décision. Mais les regards des professeurs n'étaient pas faciles à soutenir. Emlinda Wollenfeld sentait sa veste rouge coquelicot peser de plus en plus lourd sur ses épaules. Elle craignait que quelques uns protestent ou posent des questions sur la maladie de Tobias Loseiner. Elle ne se voyait pas leur dire qu'il avait tenté de mettre fin à ses jours en avalant tout ce que son armoire à pharmacie comptait de cachets et de pilules. Les secours avaient été prévenus par une voisine qui était venue lui demander un peu de sucre. Elle avait trouvé étrange qu'il ne réponde pas malgré le rai de lumière qui filtrait sous la porte.

C'était toujours sous la forme d'une image grise, sans ombre qu'apparaissait Tobias Loseiner à Emelinda Wollenfeld. Sa mémoire n'avait jamais réussi à capturer une image de lui en couleur. Un homme gris, sans relief, avec lequel cependant elle s'entendait bien. Même si, à dire vrai, ils ne se parlaient pas souvent. Tobias Loseiner ne posait pas de problème et accomplissait son travail avec une grande rigueur. Il ne discutait que très rarement les décisions prises par la direction. Elle aurait aimé que tous les professeurs soient aussi peu vindicatifs. Par ailleurs, Tobias Loseiner les dépassait tous d'une tête intellectuellement. Il était professeur de physique et de chimie, mais il avait aussi étudié la métaphysique et la philosophie analytique à l'Université de Genève. Puis, il avait choisi de persévérer dans les sciences avec pour objectif d'entrer au CERN. Un objectif qu'il avait finalement abandonné pour une vie plus simple dans l'enseignement. Trop simple peut-être...

Alors qu'Emelinda Wollenfeld concluait son discours, le son de l'alarme se fit entendre. Elle allait pouvoir quitter la salle des professeurs sans se justifier pour aller voir ce qui se passait dans l'établissement. Une fuite qu'elle ressentait comme une évasion plus que comme une échappatoire mais qui fut pour elle une vraie délivrance.

Ce texte a été rédigé pour l'édition 101 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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19/04/2013

L'enfant qui en savait trop

L'agitation de la ville est lointaine maintenant. Le pandémonium n'est plus qu'un vague souvenir pour Joshua. L'enfant se demande pourquoi on l'a amené là et attend avec une certaine impatience qu'on vienne s'occuper de lui.

Cela fait maintenant cinq heures et trente-neuf minutes qu'il se trouve dans cette salle gigantesque en espérant que quelque chose se passe. Mais l'espoir commence à s'émousser et la frustration s'ancre en lui aussi sûrement que l'angoisse. Il est déçu de n'avoir pu assister au départ de ses parents, et angoissé de se prendre à nouveau une gifle. Le type qui l'a enfermé là a de larges paluches et il ne fait pas dans la demi mesure. Il aurait dû considérer le désir du bonhomme comme un ordre.

Puis, Joshua entend un bruit de galop se rapprocher. Il ne peut cacher sa stupeur quand le méchant type crie dans son téléphone portable qu'il va "se dabarrasser au plus vite du gamin".

Ce texte a été rédigé pour les Plumes à thème n°7 initées par Asphodèle. Elle a compliqué les consignes cette semaine. Il fallait rédiger une quatrième de couverture en 500 signes (que j'ai largement dépassés) et trouver un titre. Ce texte n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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12/04/2013

Tramway n°12

Les neige collée aux chaussures des passagers se détachait par petits paquets et s'étalait dans toutes les rames. Des flaques un peu partout. On pataugeait dans le tramway les matins d'hiver. Tobias était résigné. Il savait qu'il n'y avait rien à faire sinon attendre patiemment le printemps et sa débauche de couleurs. La blancheur laisserait place au vert et aux couleurs chaudes de la végétation. Avec le temps la neige et le gel disparaîtraient. 

Chaque jour Tobias prenait le tramway n°12 en direction de Moillesulaz et chaque jour il comptait les arrêts. Il le prenait Place de Neuve et descendait à Grange-Canal. Huit arrêts en tout pour rejoindre l'Ecole internationale située route de Chêne en une trentaine de minutes. Genève avait un réseau de transports en commun très développé et la voiture n'était pas nécessaire quand on y habitait. D'ailleurs Tobias n'en avait pas. Il préférait de loin les trams et les bus, voire la marche à pied.

Face à lui ce matin-là, une jeune fille qu'il avait déjà croisée dans l'enceinte de l'école. Elle devait vraisemblablement être scolarisée en primaire. Elle avait un air angélique de jeune demoiselle bien élevée. Mais, il le savait, les élèves bien élevés pouvaient parfois se transformer en diablotins pour tester leurs professeurs. La naïveté et la pureté de l'enfance n'étaient plus ce qu'elles étaient. Les enfants ne croyaient plus en rien. Ils étaient par ailleurs beaucoup moins craintifs aujourd'hui qu'à l'époque où lui-même était élève. Les mensonges, même les plus gros, ne leur faisaient pas peur.

La jeune fille s'était mise à fredonner une chanson de Bastian Baker. Tobias l'avait reconnue tout de suite. Le chanteur était le chouchou de ces dames. Vingt-deux ans et déjà adulé. Tobias pensa que la célébrité facilitait bien la vie, lui qui se sentait noyé dans la masse, homme au physique commun, réservé et auquel on accordait peu d'importance. Il ne voulait accuser personne mais la vie était injuste se disait-il. Il n'avait rien de méchant, rien d'antipathique mais visiblement on ne l'aimait pas. Il avait l'impression que ses collègues féminines le fuyaient et que les femmes détournaient les yeux dans la rue. Sa mère avait tenté de l'apaiser, de lui dire qu'il valait bien les autres hommes, mais ses doutes sur son pouvoir de séduction ne l'avaient pas lâché. Ils s'étaient même multipliés. 

Il était perdu dans ses pensées quand la jeune fille se leva, lui rappelant qu'il devait descendre. Il passa par le fastueux bâtiment de la Grande Boissière avant d'aller faire cours. Même les secrétaires ne faisaient pas attention à lui. Peu étaient ceux qui lui adressaient la parole. Sa solitude n'était plus uniquement physique, elle devenait psychique. 

Ce texte a été rédigé pour les Plumes à thème n°6 initiées par Asphodèle. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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09/02/2013

Le brouhaha des onomatopées

Tiberio attendait la fin de la semaine avec impatience. Il se sentait de plus en plus fatigué. Le surmenage des dernières semaines y était sans doute pour quelque chose. Bien qu'il n'eût pas dépassé la cinquantaine sa jeunesse était loin. Il n'avait plus la même énergie. Puis, il avait mis quelque temps à prendre ses marques dans ce nouvel environnement. Il avait aussi davantage de responsabilités.

Les nouvelles politiques sur la restructuration des universités avaient nécessité de multiples réorganisations des services au sein de la faculté. Un surplus de travail auquel il avait également fallu faire face sans broncher au risque sinon de se faire virer comme un malpropre. Le doyen n'était pas réputé pour être conciliant. A force de patience et de persévérance Tiberio avait malgré tout réussi à rendre le climat moins tendu avec la tête chenue. Il avait même pu lancer une grande enquête sur les habitudes de restauration des étudiants et analyser leurs besoins afin de réduire les coûts du restaurant universitaire.

Mais il était aussi impatient que la semaine se termine pour emmener Flavio et Marcella à Fiumicino. La ville maritime accueillait pendant une semaine un rassemblement de vieux gréements, messagers d'un autre temps... et d'autres moeurs. Il avait réservé une chambre dans une pension de famille de la via Porto Romano d'où ils pourraient rejoindre les quais à pied. Il entendait déjà le brouhaha des onomatopées accueillant les bateaux.

Ce texte a été rédigé pour l'édition 91 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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02/02/2013

Elle avait débarqué dans sa vie bizarrement

Berghetti marchait de mieux en mieux. Sa jambe ne le faisait quasiment plus souffrir. L'oraison ne serait pas pour tout de suite. Mais il se demandait jusqu'où les gardiens de Saint-Pierre étaient prêts à aller pour le dissuader de continuer ses recherches. 

Le professeur n'était cependant pas du genre à abandonner la partie, quitte à livrer une guerre, fût-elle inégale. Il cherchait toujours un moyen de s'infiltrer dans le palais pontifical, et surtout la personne qui pourrait s'y introduire sans éveiller les soupçons. 

Chaque vendredi Francesco Berghetti se rendait à la piscine pour une séance de rééducation. Marcella avait accepté de l'y conduire et l'attendait à la cafétéria. Elle lui avait rendu de multiples services depuis leur première rencontre dans la via di Santa Dorotea. Elle avait par ailleurs réveillé sa sensibilité. Les années à arpenter l'université l'avait blazé de pas mal de choses et ses jugements envers ses pairs étaient devenus implacables au fil du temps. Beaucoup de ses collègues le snobaient bien qu'il jouît d'une belle réputation dans toute l'Italie et même au-delà des frontières du pays. Marcella ne s'était pas échappée dès que l'opération avait été terminée. Elle se sentait concernée par le sort du professeur et elle avait réussi à l'apprivoiser. Un lien s'était créé entre eux. Un lien auquel il s'accrochait chaque jour un peu plus.

La jeune femme avait débarqué dans sa vie bizarrement, dans une circonstance inattendue. Il remerciait tous les jours Sainte Rita de l'avoir placée sur son chemin. Son aide avait été providentielle. Marcella l'avait convaincu d'expérimenter de nouveaux traitements contre la douleur et ceux-ci s'étaient révélés très efficaces. Pourquoi avait-il suivi son conseil lui qui d'ordinaire accordait peu de crédit à ce que disait son entourage? Pourquoi avait-il envie de croire en elle? Il repensait souvent au Pygmalion de Bernard Shaw et au mythe du vieux professeur qui tombe amoureux de son élève. Une pensée qu'il s'empressait de chasser d'un clignement furtif des paupières.

- "Madame, puis-je avoir l'addition s'il vous plaît?"

La serveuse, au cou de laquelle pendait une chaîne avec un pendentif en forme de serpent, revint quelques minutes plus tard avec le compte. Son repas s'élevait à 15,40 euros. Il trouva que c'était un peu cher pour des pâtes à la carbonara et des tranches de cornichons aigre-doux. De plus l'établissement était bruyant. Il n'y reviendrait sûrement pas.

Ce texte a été rédigé pour les éditions 89 et 90 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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18/01/2013

Ne pas laisser faire le diable

Midi venait de sonner à l'église Santa Dorotea et le père Paulo commença à se préparer pour se rendre à Saint-Pierre. Cela ne servait plus à rien d'attendre l'appel du père Stefano. Si l'opération avait échoué il l'aurait su. Il espérait que Berghetti avait bien eu la frousse. Quel mécréant! Prouver mathématiquement l'existence de Dieu... Pour qui ce professeur se prenait-il? S'il l'avait eu devant lui il l'aurait châtré de ses propres mains.

Il avait écouté attentivement le père Stefano décrire les tenants et les aboutissants de l'affaire et n'avait pu qu'adhérer au projet. Il n'était pas question de laisser faire le diable. Il fallait agir et au plus vite. Comme lui, trois autres prêtres de la cité romaine avaient été choisis pour accomplir cette délicate tâche. Le souverain pontife n'était pas du genre à s'en laisser conter mais ils seraient persuasifs. Alors qu'il quittait l'église, le père Paulo aperçut une jeune femme soutenant un homme qui semblait avoir du mal à marcher. En approchant il reconnut le professeur Berghetti mais se demanda qui pouvait bien être celle qui l'accompagnait. Il dépassa l'étal de l'épicier sans se retourner malgré l'envie de voir dans quelle direction se dirigeaient le blessé et son aide. La femme avait l'air toute chose, comme perdue au milieu de l'océan, le regard rivé sur l'homme qu'elle portait.

Paulo eut à peine un regard pour les pauvres ères toujours affalés près du pont Sisto. Il bifurqua vers le Longotovere della Farnesina en direction de Saint-Pierre. Le rendez-vous était à 15h. Il irait à pied. Il avait largement le temps.

Ce texte a été rédigé pour l'édition 88 du jeu Des mots, une histoire initié par Olivia. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.

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