01/09/2013
Les dimanches poétiques (109)
"-Y tenez-vous vraiment, demanda Gabriel, à ce monde menacé? Ce n'est pas la peine de faire des pieds et des mains pour essayer de le sauver si vous ne l'aimez pas. Je me demande si, pour vous, les hommes, le monde est un bonheur ou une fatalité. Vous êtes tombés dedans sans l'avoir demandé. Pour votre bien? Pour votre mal? Est-il gai? Est-il triste?
- Très triste, lui répondis-je. Un désastre. Une horreur. La douleur est au coin de la rue. Tout ce que nous aimons s'en va. Nous sommes sûrs de mourir. Et très gai. Nous y tenons beaucoup. Il y a du lilas et des calembours. Les oiseaux chantent autour des vignes et dans les champs de lavande. Nous faisons des projets, des enfants, des chefs-d'oeuvre. Un jaillissement perpétuel. Je te l'ai déjà dit: le monde est une fête en larmes."
Jean d'Ormesson Le rapport Gabriel
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29/08/2013
Ils n'avaient cessé de regarder la mer
En faisant les cartons pour le déménagement Tiberio avait retrouvé une boîte qu'il avait héritée de son père. Elle contenait des photos et une coupure de journal faisant l'éloge d'un arrière-grand-père à la fois coureur des mers, diplomate et écrivain. Il avait parcouru la terre sous toutes les latitudes, avait sillonné les océans du nord au sud et croisé sous les tropiques et les parallèles. Il revenait en Italie pour mieux repartir vers d'autres contrées, d'autres découvertes.
Cette passion des voyages était née à Brindisi. De la maison familiale, ses frères et lui n'avaient cessé de regarder la mer qui s'étendait à leurs pieds et ça leur avait donné des idées. L'Adriatique était une porte sur des cultures nouvelles, sur des gens aux univers bien différents du leur et surtout, elle offrait le départ pour de magnifiques aventures extra-terrestre.
Cet arrière-grand-père, qui se prénommait Alessandro, n'avait rien d'un va-t-en-guerre. Il déplorait même le néant auquel certains territoires avaient été réduits sous le joug d'envahisseurs qui étaient arrivés un jour par bateau alors que leur premier objectif était de faire le tour du monde. Des colonisateurs qui se repéraient à des cartes astrales et qui faisaient souvent fausse route, mettant le pied là où on ne les attendait pas.
Alessandro, lui, voulait juste mesurer la grandeur du monde, visiter les pays qu'il voyait sur sa mappemonde. Une mappemonde en couleurs que Tiberio avait récupérée. Son arrière-grand-père était un sacré animal. Il avait rêvé d'un futur pluriel, de vies entrelacées où le bonheur et le partage s'égrèneraient au fil des vents. Mais après avoir baroudé pendant vingt ans, il était revenu s'établir à Brindisi, une ville macrocéphale qu'il avait eu peine à reconnaître.
La fin du voyage avait été peu glorieuse. Il avait dû emprunter de l'argent à ses frères pour survivre. Puis, il s'était vu proposer un poste de diplomate en Suisse après avoir raconté dans les soirées de la bonne société ses voyages au long cour. Passé maître dans l'art de promouvoir la culture italienne, on lui avait alors suggéré de postuler dans des cercles littéraires. Mais comme beaucoup d'hommes il avait négligé de répondre et avait continué sa route vers Venise. Il y rencontra Aurelia Medici, une jolie jeune femme fortunée qu'il ne tarda pas à épouser et qui lui donna trois enfants.
Texte original rédigé pour les Plumes à thème n°14 initiées par Asphodèle. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus. Le thème de cette édition était le"monde".
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22/08/2013
Un continent à elle seule
La ville de Rome était un continent à elle seule. Le père Paolo le savait bien. Il serait difficile de mettre la main sur Francesco Berghetti. Le professeur avait le don pour brouiller les pistes. De plus, il n'était pas malhabile, sachant se diriger dans le sens du vent tel un amiral de frégate, trouvant la meilleure route pour faire glisser son bateau entre les icebergs et, bien sûr, ne laissant aucun indice dans son sillage.
Le prêtre sortit la bouteille de liqueur de myrte qu'il rangeait dans la crédence à côté du vin de messe. Il espérait qu'un peu de liqueur lui viendrait en aide ou du moins lui éclaircirait les idées. Il avait déambulé dans l'église pendant un bon moment, cherchant une solution, mais il ne parvenait pas à franchir la muraille que Berghetti avait construite pour se protéger. Une muraille qui ressemblait fort à celle entourant la cité du Vatican. Il n'arrivait pas à trouver la faille du professeur. Elle devait cependant exister. Puis, comme une révélation divine, la solution se présenta à lui. Il fallait toucher son point faible et, d'après le père Stefano, le point faible de Berghetti s'appelait Marcella Bianchi. La jeune femme était devenue une intime du professeur depuis qu'elle l'avait secouru dans la via di Santa Dorotea. Le père Paolo le soupçonnait depuis le début d'avoir des sentiments pour elle.
Le curé se baladait dans la sacristie le verre de liqueur à la main. Une odeur d'encens froid flottait dans l'air. Il pensa que la meilleure chose à faire était d'appeler le père Stefano pour lui faire part de son idée. S'ils arrivaient à kidnapper cette Marcella, ils mettraient à coup sûr la main sur Francesco Berghetti. La sachant en perdition il accourrait sans se poser de question. Il mettrait le cap vers sa protégée, braverait les flots déchaînés. Une chose était certaine, Berghetti débarquerait rapidement pour la sauver et ils en finiraient avec lui.
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Pendant ce temps-là, quelque part dans la via dei Pettinari, le père Stefano ouvrait une enveloppe. Il s'agissait de tests génétiques. Des tests qu'il avait réussi à faire avec la complicité d'un homme de main. Son coeur battait vite, ses doigts tremblaient. Il redoutait que les résultats soient positifs.
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Ce texte a été rédigé pour les Plumes à thème n° 13 initiées par Asphodèle. Cette semaine les mots tournaient autour de la "dérive". Et Aspho a ajouté trois mots commençant par la lettre "M". Ce texte n'est pas libre de droits, la photo non plus.
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19/08/2013
L'île des beaux lendemains - C. VERMALLE (coup de coeur)
J'ai vraiment beaucoup aimé cette lecture. Ca faisait longtemps que je n'avais pas eu de coup de coeur pour un livre et j'ai été enchantée par cette histoire. C'est plein de poésie, d'humour, de joie, parfois de tristesse, et surtout c'est plein de vie.
Jacqueline, 73 ans, décide un beau jour de quitter Marcel, son mari, pour aller chez sa cousine Nane. La cause de son départ: un papillon qui s'écrase un soir sur la fenêtre de sa cuisine. A travers ce papillon, c'est toute sa vie que Jacqueline revoit défiler, et notamment le manque de courage lorsqu'elle était jeune pour oser affronter ses parents, et surtout pour vivre sa vie.
Elle se réfugie chez Nane parce qu'au fond elle l'admire. Nane a su assumer ses choix. Elle a désobéi à son oncle et sa tante et s'est mariée avec Alexandre Verbowitz, un artiste peintre d'origine polonaise. Ils ont vécu heureux ensemble. Même si Alexandre n'est plus de ce monde aujourd'hui, Nane n'a pas de regret.
Au contraire, la vie de Jacqueline n'a toujours été que compromis. Des compromis avec ses parents, puis avec son mari, un homme qu'elle n'a jamais vraiment aimé. Avec lequel elle s'est mariée parce que ses parents en avaient décidé ainsi. Jacqueline n'a pas choisi le bonheur mais la compromission et a toujours admiré Nane pour son courage.
Mais quand Jacqueline arrive chez sa cousine sur l'île d'Yeu, elle ne lui avoue pas la raison pour laquelle elle a quitté Marcel. Ca fait plus de cinquante ans qu'elles ne se sont pas vues et les retrouvailles sont pour le moins cocasses. Elles étaient comme deux soeurs à l'adolescence mais le temps a effacé la complicité et elles vont devoir s'apprivoiser. L'une est posée et polie, l'autre est du genre "rentre dedans" et ne pratique pas la langue de bois.
Cette histoire pose aussi la question de la maternité, de l'accomplissement de soi, et de la liberté que chacun a de choisir sa vie. J'ai aimé cette rencontre avec Jacqueline et Nane. Les papillons et les vents des quatre coins de la planète ont su brillamment raconter l'histoire de ces deux vieilles dames. Oui, parce que ce sont des papillons qui nous racontent l'histoire. Quand je vous disais que ce roman est plein de poésie...
L'île des beaux lendemains - Caroline VERMALLE - Ed. Belfond - 2013
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18/08/2013
Les dimanches poétiques (108)
"- Rome est tombée. Elle a été prise mais la terre et les cieux n'en sont pas ébranlés. Regardez autour de vous, vous qui m'êtes chers. Rome est tombée mais n'est-ce pas, en vérité, comme s'il ne s'était rien passé? La course des astres nest pas troublée, la nuit succède au jour qui succède à la nuit, à chaque instant, le présent surgit du néant, et retourne au néant, vous êtes là, devant moi, et le monde marche encore vers sa fin mais il ne l'a pas encore atteinte, et nous ne savons pas quand il l'atteindra, car Dieu ne nous révèle pas tout. Mais ce qu'il nous révèle suffit à combler nos coeurs et nous aide à nous fortifier dans l'épreuve, car notre foi en Son amour est telle qu'elle nous préserve des tourments que doivent endurer ceux qui n'ont pas connu cet amour. Et c'est ainsi que nous gardons un coeur pur, dans la joie du Christ."
Jérôme FERRARI Le sermon sur la chute de Rome
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16/08/2013
"Il est grand le mystère de la foi"
Francesco Berghetti avait l'air d'un hibou dans le miroir. Il avait mal dormi et perdu l'habitude de se lever d'aussi bonne heure. Quelle idée de lui donner rendez-vous à 8h15 dans une église. Il aurait préféré faire la grasse matinée, tout particulièrement le vendredi saint. Dehors la brume s'étendait sur la ville. L'aube était maussade, pas prête à livrer ses secrets, il en était certain.
Il faisait frais dans la chambre. Berghetti passa un pull et tenta d'ordonner ses cheveux avant d'aller dans la cuisine faire du café et préparer des oeufs brouillés. Puis, il alluma la radio-CD et inséra un disque de Chopin. Il aimait écouter des mazurkas quand il prenait son petit déjeuner, et en particulier la mazurka opus 17 n°4 qu'il lui arrivait parfois de passer en boucle.
Il alla ensuite se doucher. Il espérait que l'eau finirait de le réveiller et fairait disparaître la boule qui commençait à lui comprimer la poitrine. Il s'habilla vite et ferma l'appartement mais arrivé au rez-de-chaussée de l'immeuble il se rendit compte qu'il avait oublié ses clés de voiture. Son trousseau était resté sur le bahut de l'entrée. Il remonta les marches quatre à quatre pour le récupérer. Les minutes étaient comptées. Il ne savait pas combien de temps il mettrait pour effectuer le trajet entre la via di San Domenico et la via della Conciliazione. Lorsque le trafic était fluide il fallait une trentaine de minutes pour parcourir les 6 kilomètres qui séparaient son domicile des portes du Vatican. Or, c'était l'heure de pointe et il redoutait les embouteillages.
Le professeur avait donné rendez-vous à Marcella à 8h sur le parvis de l'église Santa Maria in Transpontina située à deux pas de l'ambassade de Slovénie auprès du Saint-Siège. Marcella avait insisté pour venir avec lui bien qu'il pensât que cette mission pouvait s'avérer dangeureuse.
Caché derrière un lampadaire de l'autre côté de la rue il lui sembla la voir arriver. Elle jetait constamment un regard par-dessus son épaule comme si elle avait le sentiment d'être suivie.
Aucune des silhouettes qui allaient et venaient ne ressemblait un tant soit peu au professeur Berghetti. Marcella craignait qu'il ne lui arrive quelque chose avant qu'il n'ait le temps de résoudre l'intrigue qui lui avait été soumise.
Elle jeta un oeil à sa montre. Il était 7h48. Encore douze minutes à patienter dans le froid. Elle grelottait et se sentait un peu faible. Elle n'avait rien pu manger avant de partir. Le dessert de la veille lui était resté sur l'estomac. Elle avait juste bu un thé qui la barbouillait déjà.
La via della Conciliazione était baignée de brume. Les lanternes disposées de part et d'autre de l'église n'éclairaient rien. Le paysage était fantômatique et oppressant. Un décor parfait pour tourner un film ésotérique ou effectuer un incroyable tour de magie. Un peu trop parfait d'ailleurs. Ca n'avait rien de rassurant.
Francesco retrouva Marcella à 7h57. Quand ils entrèrent l'église était plongée dans la pénombre. Seule la lampe du Saint Sacrement luisait à gauche de l'autel. Un silence monacal régnait dans l'édifice.
Puis, ils aperçurent de la lumière dans la chapelle dédiée à Sant'Angelo, martyr à Licata. Marcella et le professeur approchèrent sur la pointe des pieds pour ne pas attirer l'attention. Les bancs installés pour la célébration étaient pleins, occupés surtout par des religieux. Le reste de l'église semblait déserté.
"Il est grand le mystère de la foi". Le curé en était à l'anamnèse. Dans quelques minutes se serait la communion. L'unité divine du Père, du Fils et du Saint Esprit consacrée dans un petit disque qui enlèverait les péchés de chacun. Francesco Berghetti se demandait si la personne qui lui avait donné rendez-vous dans ce lieu était déjà là.
Les gestes du prêtre étaient empreints d'une certaine langueur. Puis, alors qu'il s'apprêtait à donner la communion aux fidèles, ses gestes furent comme suspendus dans l'air... Le ciboire se fracassa sur le sol et les hosties se dispersèrent. Le prêtre chuta sur le marbre. Un point rouge était apparu sur son front. Les fidèles, qui ne réalisèrent pas tout de suite ce qui s'était passé, mirent quelques minutes à lui porter secours. Pendant que les uns appelèrent une ambulance de la Policlinique universitaire Gemelli, les autres scrutèrent la pénombre pour tenter de distinguer le tireur. Mais ils ne virent rien. Ils entendirent simplement la porte de l'église se refermer dans un bruit sourd.
Marcella et le professeur Berghetti s'étaient quant à eux réfugiés derrière une colonne. Ils attendaient le moment propice pour rejoindre la sacristie. Francesco ne voulait pas être retardé par la police. Après avoir traversé de nombreuses pièces et des couloirs ils se retrouvèrent dans le vicolo del Campanile. Il n'y avait pas grand monde. Sans même se concerter ils prirent la direction de la basilique Saint-Pierre. Le ciel était toujours aussi gris. Marcella aurait aimé avoir une gomme pour effacer la brume.
Mais ce jour-là le ciel ne s'éclaircit pas. Il devint même plus sombre à mesure que le temps s'écoulait.
Texte original rédigé pour les Plumes à thème n°12 initiées par Asphodèle. Il n'est pas libre de droits, la photo non plus.
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13/08/2013
Le sermon sur la chute de Rome - J. FERRARI
Comme vous le savez, je lis rarement des livres qui ont obtenu un prix. Mais le titre du dernier Goncourt m'a interpellé. Je me demandais ce qu'avait bien pu imaginer Jérome Ferrari pour qu'on lui décerne un titre aussi prestigieux. Et, de savoir que Bernard Pivot avait voté pour lui, a pesé dans la balance. Donc, le voyant sur un présentoir à la bibliothèque, je décidai de l'emprunter.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Le style de Ferrari ne m'a pas vraiment plu. Pour être franche, il m'a même agacé tout au long du roman. Ce ne sont quasiment que des phrases à tiroirs qui courent sur dix lignes voire sur une page entière. Quel besoin ont les écrivains de faire des phrases à rallonges? Ca n'apporte strictement rien à l'histoire. Celle-ci gagnerait en clarté avec des phrases plus courtes. Le roman gagnerait en rythme. C'est vraiment dommage car le postulat de départ est plus qu'intéressant et l'auteur est érudit.
Jérôme Ferrari a mis en parallèle le destin de plusieurs personnes d'une même famille. Marcel, son fils Jacques, et ses petits-enfants Mathieu et Aurélie. L'auteur parle surtout du destin, des vies que les personnages pensent se choisir, et il donne un portrait fouillé de chacun d'eux. Mais la vie se charge de détruire les illusions et de faire tourner les rêves en cauchemars. Est-ce que Mathieu trouvera le bonheur en Corse, terre de ses ancêtres? A-t-il raison de tourner le dos à de brillantes études de philosophie?
Le roman de Jérôme Ferrari s'appuie sur le sermon de saint Augustin qui, à Hippone, tenta de "consoler ses fidèles sur la fragilité des mondes terrestres". Des mondes qu'ils édifient mais qu'ils finissent par détruire... Les mondes de chacun des personnages vont s'effondrer. Trouveront-ils le ressort pour rebondir?
Le sermon sur la chute de Rome - Jérôme FERRARI - Ed. Actes Sud - 2012
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